L'actionnariat
salarié poursuit sa lente érosion en Europe.
C'est ce que montrent tous les indicateurs
significatifs. Seuls trois font exception:
la part détenue par les salariés, en pourcentages
et en capitaux détenus, ainsi que le nombre
d'entreprises dotées de plans d'actionnariat
salarié.
La part détenue par les salariés a grimpé
à 3,26% et 447 milliards d'Euro en 2022, nouveaux
chiffres records. Heureux ceux qui ont
pu bénéficier de plans d'actionnariat salarié!
Cependant, les dirigeants exécutifs se
taillent la part du lion (1,63% et 224 milliards
pour 9.600 personnes), alors que les salariés
ordinaires piétinent (1,63% et 223 milliards
pour 6,8 millions de salariés). Dès lors le
déséquilibre continue à s'accentuer entre
la part détenue par les dirigeants exécutifs
et celle des salariés ordinaires, l'actionnariat
salarié démocratique. Dans les sociétés cotées
européennes, la part détenue par les dirigeants
exécutifs dépasse désormais nettement celle
des salariés ordinaires, alors qu'il y a quinze
ans encore les dirigeants ne détenaient ensemble
que 1,06%, contre 1,60% pour les salariés
ordinaires. Un petit groupe de 9.600 dirigeants
(quatre en moyenne dans chaque entreprise),
détient aujourd'hui davantage que les 34 millions
de salariés des grandes entreprises européennes.
Plus de 20 millions d'Euro en moyenne pour
chaque dirigeant, 33.000 pour chaque actionnaire
salarié ordinaire. Dans l'ensemble, la part
détenue par les salariés ordinaires se situe
aujourd'hui au même niveau qu'il y a quinze
ans.
Les grandes entreprises européennes sont toujours
plus nombreuses à se doter de plans d'actionnariat
salarié. En 2022, 95% des grandes entreprises
avaient un actionnariat salarié, 88% organisaient
des plans de toutes sortes, tandis que 57%
avaient des plans pour tous et 54% des plans
de stock options.
Ainsi l'année écoulée a encore une fois confirmé
le fait: l'actionnariat salarié est bénéfique
pour ceux qui y ont accès, et il est souhaité
par les entreprises.
Pourtant, l'actionnariat salarié démocratique
a eu son pic en 2011 dans les grandes entreprises
européennes et depuis, il ne cesse de se dégrader.
Voici les principaux indicateurs de cette
dégradation: La part détenue par les salariés
ordinaires régresse. Le nombre d'actionnaires
salariés est en baisse. C'est le cas dans
tous les pays européens (à l'exception notable
de la Grande Bretagne). Une diminution apparaît
aussi dans le nombre de grandes entreprises
où la part détenue par les salariés est significative.
En outre, la chute du taux de démocratisation
de l'actionnariat salarié est dramatique depuis
plus de dix ans. Ainsi se trouve à nouveau
confirmé le fait que l'actionnariat salarié
est en danger en Europe. Il est de moins en
moins démocratique.
Le nombre d'actionnaires salariés a une nouvelle
fois diminué l'an dernier. Il est plus bas
aujourd'hui qu'il y a dix ans. 6,8 millions
d'actionnaires salariés sont recensés à présent
dans les grandes entreprises. Si l'on y ajoute
un million d'actionnaires salariés dans les
PME, le nombre total en Europe n'atteint plus
que 7,8 millions contre 8,3 millions en 2011.
La diminution du nombre des actionnaires salariés
touche tous les pays européens, à l'exception
de la Grande Bretagne.
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La
chute du taux de démocratisation de l'actionnariat
salarié est dramatique depuis dix ans. Elle
a été particulièrement prononcée en France.
Ainsi en France, l'emploi a fortement augmenté
dans les grandes entreprises, mais le nombre
d'actionnaires salariés n'a pas suivi. En
proportion du nombre de salariés, celui des
actionnaires salariés atteignait 41,5% dans
les grandes entreprises cotées françaises
en 2010. Il n'est plus que de 32% en 2022,
et 19% seulement en Europe. Si le taux de
démocratisation avait pu être maintenu, la
France devrait compter 3,5 millions d'actionnaires
salariés aujourd'hui au lieu des 2,8 millions
recensés. Ainsi en terme de démocratisation,
la France est en perte de 25% sur dix ans.
Pourquoi cette dégradation? Elle est le signe
que les plans d'actionnariat salarié sont
de moins en moins efficaces. Les politiques
fiscales nationales qui les soutiennent ont
atteint leurs limites.
En effet, promouvoir l'actionnariat salarié
démocratique est un choix politique, il s'appuye
généralement sur des encouragements fiscaux.
Sans soutien, le salarié n'a généralement
pas les moyens d'investir financièrement dans
son entreprise.
Au contraire, les moyens ne manquent pas aux
dirigeants exécutifs. Les politiques publiques
de soutien à l'actionnariat salarié, là où
elles existent, ont-elles été mal calibrées,
détournées à leur profit par les dirigeants?
Non, ce n'est pas le cas. En effet on observe
que dans les 1,63% détenus par les dirigeants,
la part issue de l'exercice de stock options
et autres plans d'actionnariat salarié est
microscopique, elle ne représente que 0,05%.
Pourquoi les plans et les politiques d'actionnariat
salarié sont de moins en moins efficaces dans
les grandes entreprises? Parce que que ces
politiques restent nationales, alors que les
salariés des grandes entreprises sont de plus
en plus basés en dehors de leur pays de base.
C'est le phénomène bien connu de délocalisation
des emplois.
Ainsi la part des salariés qui peut bénéficier
des avantages des plans et des politiques
se réduit de plus en plus. Il y a seize ans
dans les grandes entreprises européennes,
près d'un salarié sur deux était encore localisé
dans le pays de base, là où il pouvait bénéficier
des encouragements politiques de son pays.
Aujourd'hui ce n'est plus vrai que pour un
gros tiers des salariés, les deux autres sont
hors pays de base.
Ainsi globalement, les politiques d'actionnariat
salarié, parce qu'elles sont restées nationales,
ont perdu 30% de leur efficacité en quelques
années. C'est ce qui explique pourquoi les
efforts législatifs décidés récemment dans
plusieurs pays (Loi Pacte en France, multiplication
par quatre des incitants fiscaux en Allemagne)
n'ont eu aucun impact significatif sur l'actionnariat
salarié dans les grandes entreprises.
Ce constat sanctionne l'échec de l'Europe
à promouvoir une politique d'actionnariat
salarié démocratique, tandis qu'au contraire
elle s'accommode de l'envolée des dirigeants
exécutifs.
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