Quand on n'a pas les mots

On observe une multiplication rapide des entreprises qui s'identifient "proudly employee-owned" (fièrement détenues par les salariés) en Grande Bretagne.

Elles affichent l'image ci-contre.

Le nombre de 2.100 transmissions d'entreprises aux salariés vient d'être atteint grâce au mécanisme de Fiducie d'Actionnariat Salarié (Employee Ownership Trust). Cela représente plus de 150.000 actionnaires salariés qui détiennent dans la plupart des cas 100% de leur entreprise.

Pour l'essentiel dans les pays anglo-saxons, l'actionnariat salarié marche sur deux jambes:

•  Avec l'une on partage "une petite part du gateau". Cette formule s'applique plutôt aux grandes entreprises. Les salariés sont invités à acheter quelques actions de l'entreprise au moyen de leur épargne. Ils y prennent donc un risque financier.

•  Avec l'autre, c'est le gateau entier qui est transmis aux salariés. Cette formule-ci s'applique plutôt aux PME. L'entreprise est vendue à un trust créé pour le bénéfice de l'ensemble des salariés. Les salariés n'investissent pas un centime de leur poche, ils ne prennent pas de risque financier. L'opération est financée par un crédit que le trust des salariés-propriétaires remboursera, non pas grâce à l'épargne des salariés mais grâce à leur travail. En effet dans cette formule, en plus de la partie "salaire" produite par leur travail, les salariés-propriétaires bénéficient aussi de la partie "profit", permettant de rembourser l'emprunt. Cette formule représente donc de la façon la plus complète la redistribution de la valeur dont on parle abondamment en France depuis quelques mois.

Pour désigner ces deux jambes différemment articulées, les anglo-saxons ont forgé deux locutions distinctes. Ainsi "employee share ownership" pour la petite part du gateau devient "employee ownership" pour le gateau entier, d'où "employee-owned" pour les PME appartenant aux salariés.

"Employee share ownership – employee ownership", il s'agit d'un jeu de mots. Comme tous les jeux de mots, celui-ci a un côté magique. Malheureusement aussi, comme la plupart des jeux de mots, il est intraduisible. Ainsi en français, comme dans la plupart des autres langues européennes (sauf deux exceptions) nous n'avons qu'une locution pour désigner le tout: c'est "actionnariat salarié" pour la petite part du gateau, et c'est "actionnariat salarié" aussi pour le gateau entier.

Quand on n'a pas les mots, on n'a pas les concepts et on peut passer à côté d'une réalité sans la comprendre ni même la voir. C'est le drame que vivent encore aujourd'hui la plupart des pays européens. La jambe qui s'articule autour de la petite part du gateau est assez bien comprise. Au contraire la jambe dont le moteur est le gateau entier est ignorée ou n'est pas comprise du tout.

Pour la compréhension, voici déjà un petit lexique de cette pratique de l'actionnariat salarié que l'Europe continentale peine à introduire dans les PME:

Employee-owned company – Entreprise détenue par les salariés - Empresa propiedad de sus empleados – MitarbeiterUnternehmen - Azienda di proprietà dei dipendenti - Zaměstnanci vlastněná společnost - Munkavállalói tulajdonú vállalat - Spolka Pracownicza – Werknemersbedrijf  - Personalägt företag - Ansatteeid selskap - Medarbejderejet virksomhed - Podjetje v lasti zaposlenih - Työntekijän omistama yritys - Töötajatele kuuluv ettevõte - Darbiniekam piederošs uzņēmums - Darbuotojui priklausan

Marc Mathieu
Secrétaire Général
FEAS - FEDERATION EUROPEENNE DE L'ACTIONNARIAT SALARIE
EFES - EUROPEAN FEDERATION OF EMPLOYEE SHARE OWNERSHIP
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La FEAS est l'organisation-coupole qui vise à fédérer les actionnaires salariés, les entreprises et toutes les personnes, les syndicats, les experts, les chercheurs ou autres intéressées à la promotion de l'actionnariat salarié et la participation en Europe.