La S.E.C. américaine décide la transparence des politiques de
vote des fonds de commun US. Les investisseurs responsables US
applaudissent.
Le 23 janvier, la SEC (Securities Exchange Commission, la COB
américaine) a majoritairement approuvé deux nouvelles règles de
transparence pour les fonds communs américains. Celles-ci rendent
obligatoires, pour l'ensemble des fonds communs américains et des
conseils en investissement, la transparence de leur politique de
votes par procuration et leurs votes lors des assemblées générales
des entreprises. Sur fond de remise en cause des
pratiques de corporate governance américaines (Enron, Worldcom,
etc.) et du renforcement des dispositions législatives avec
l’adoption de la loi Sarbanes Oaxley, la SEC répond aux demandes
pressantes d'un grand nombre d'investisseurs institutionnels
socialement responsables, parmi lesquels on compte Domini Social
Investments, mais également de nombreux syndicats.
Pour eux l’enjeu était clair : permettre aux
actionnaires d'être à même de mieux comprendre et d'évaluer jusqu'où
les fonds s'impliquent dans la défense de leurs intérêts, en votant
sur des questions primordiales de corporate governance et d'impacts
sociaux et environnementaux. Les scandales qui
ont atteint plusieurs grandes entreprises américaines, et ont fait
fondre l'épargne retraite de nombreux salariés, ne sont pas
étrangers à cette demande de transparence des investisseurs SR. Leur
souci de préserver la valeur à long terme de leurs placements les a
naturellement amené à presser la SEC de réglementer, enfin, le
sujet.
En effet, l’exercice des droits de vote constitue de manière
incontestable un levier d’amélioration de la performance à long
terme des portefeuilles. La SEC innove réellement avec ces nouvelles
dispositions qui constituent de fait une nouvelle « disclosure
regulation » ou « clause de transparence » en matière
d’exercice des droits de vote en assemblée générale. A l’heure où
les pouvoirs publics français sont sur le point d’adopter le projet
de loi sur la sécurité financière, les nouvelles dispositions
adoptées par la SEC ne peuvent manquer de constituer une source
d’inspiration.
Eric Loiselet
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Dispositions
concernant les sociétés d'investissement: Les dispositions
adoptées par la SEC changent substantiellement la donne en matière
d’exercice de droits de vote pour les fonds communs et les sociétés
qui les gèrent :
- Politique de votes par
procuration et procédures des sociétés
d'investissement
Un fonds devra révéler
dans sa déclaration d'enregistrement les politiques et procédures
qu'il utilise pour déterminer la manière dont il use des votes par
procuration de ses portefeuilles de titres. Cette transparence
inclut les procédures utilisées lorsqu'un vote présente un conflit
entre les intérêts des actionnaires, d'une part, et ceux du
conseiller du fonds d'investissement - principal soumissionnaire -
ou de certaines de ses filiales, d'autre part. Cette transparence
s'appliquera aux résolutions déposées le 1er juillet 2003 et
après.
- Résultats des votes par
procuration des sociétés d'investissement
Un fonds devra remplir le
nouveau formulaire N-PX, qui contiendra la totalité des résultats
de ses votes par procuration sur une période de 12 mois,
s'achevant le 30 juin et plus tard le 31 août de chaque année. Il
devra publier les informations suivantes sur chaque question sur
laquelle il a été appelé à voter:
- l'identification de la
question,
- si
la question a été proposée par un émetteur ou par un détenteur
de titre,
- si
et de quelle manière le fonds a voté,
- s'il a voté en faveur ou
contre les dirigeants de l'entreprise.
Les fonds auront
l'obligation de divulguer leur premières politiques de votes par
procuration au plus tard le 31 août 2004, pour une période de douze
mois s'achevant le 30 juin de la même année.
- Mise à disposition auprès des
actionnaires de l'information sur les votes par
procuration
Un fond devra mentionner
dans son rapport aux actionnaires que l'information sur ses
politiques de votes par procuration et ses procédures est
disponible gracieusement, sur demande, en appelant un numéro de
téléphone gratuit, ou sur son site web, s'il existe, ainsi que sur
le site web de la SEC. Un fonds devra mentionner dans sa
déclaration d'enregistrement et dans ses rapports aux actionnaires
qu'il enregistré le résultat de ses votes par procuration auprès
de la SEC et que le dossier est disponible sur le site de la SEC
et auprès de lui. Un fonds pourra mettre à disposition le résultat
de ses votes sur son site web ou sur demande.
Dispositions
concernant les conseils en
investissement: Les conseils en
investissement sont aussi concernés par les nouvelles dispositions
introduites par la SEC en matière de transparence dans l’exercice
des droits de vote. La SEC a en quelque sorte « bouclé »
le dispositif :
- Politique de votes par
procuration et procédures des conseils en
investissement : Les conseils en
investissement qui exercent les votes par procuration pour les
titres de leurs clients devront adopter et mettre en application
des politiques et procédures écrites sur ces votes. Celles-ci
devront être raisonnablement conçues pour s'assurer que le conseil
vote dans le meilleur intérêt de ses clients, et ils devront
expliquer de quelle manière le conseil règle les conflits
d'intérêt qui peuvent survenir entre ses clients et
lui-même.
- Information à leurs clients
sur les votes par procuration des conseils en
investissement : Les conseils en investissement
devront décrire à leurs clients leurs politiques et procédures
concernant les votes par procuration, et leur fournir une copie de
celles-ci sur demande. Ils devront également informer leurs
clients de la manière dont ceux-ci peuvent obtenir une information
de leur conseil, et de quelle manière les votes par procuration
ont été exercés pour les titres que leurs clients
détiennent.
Les politiques de
votes par procuration et les procédures devront être effectives,
pour les conseils en investissement, qui devront en informer leur
clients, dans les 180 jours après la publication de ces nouvelles
règles au Registre Fédéral.
En savoir
plus: Les règles de la SEC sur la transparence des
politiques de vote: http://www.sec.gov/news/press/2003-12.htm
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Les
réactions ne se sont pas fait attendre à l'annonce du nouveau
règlement de la SEC: les membres de la coalition d'investisseurs qui
faisaient pression sur le gendarme de Wall Street saluent sa
décision. par Nathalie Fessol
Amy
Domini applaudit le succès d’une campagne engagée de longue date
pour l’amélioration de la transparence de la gestion des
fonds
"Les
investisseurs concernés par le sujet et l'ensemble des investisseurs
socialement responsables applaudissent. Nous venons de remporter une
victoire importante, à la fois pour la transparence de la gestion
des fonds communs et pour l'amélioration des pratiques de corporate
governance", a déclaré Amy Domini. La présidente de Domini
Social Investments (DSI) a engagé la bataille pour la transparence
de la politique de votes des fonds communs depuis de nombreuses
années, et avait écrit à la SEC, en décembre dernier, pour lui
demander d'exiger cette transparence (cf. l'article
de SRI in Progress # 20). DSI avait d'ailleurs déposé, ainsi que
l'AFL-CIO et IBT (le syndicat des camionneurs et transporteurs
américains) une pétition auprès de la SEC en 2001 appelant un
changement de la réglementation en matière d’exercice des droits de
vote.
En fait, depuis
septembre dernier, lorsque la SEC avait commencé à interroger les
investisseurs sur une réglementation en la matière, Amy Domini était
entrée en campagne, mobilisant autour de cette proposition de
réglementation à la fois ses propres actionnaires, mais également
des citoyens américains et des investisseurs SR, tels que Pax World
Fund, Calvert et le Shareholder Action Network. Elle avait également
obtenu le soutien de Working Assets - une société de cartes de
crédit SR - et celui de l'organisation de Ralph Nader, Citizen
Works. 8 000 lettres étaient parvenues à la SEC sur le
sujet.
" Les fonds
communs sont propriétaires d'environ 19% des sociétés cotées
américaines et leurs votes lors des assemblées générales annuelles
représentent 90 millions d'investisseurs individuels. Jusqu'à
présent, ces investisseurs n'avaient aucun moyen de connaître la
manière dont leurs gérants de fonds avaient voté sur des questions
essentielles telles que la rémunération des dirigeants, la diversité
des conseils d'administration, les paradis fiscaux et d'autres
questions ayant des impacts sociaux et environnementaux forts. A
l'inverse, les dirigeants des entreprises se sont livrés à un
lobbying appuyé pour que les résolutions qu'ils proposaient soient
votées et eux seuls avait accès aux résultats des votes. Nous avons
tous vu le tragique résultat de ce système, qui fonctionnait dans
une opacité totale, et donnait lieu à des conflits
d'intérêt", a ajouté la présidente de DSI, en soulignant que
jusqu'à présent les seuls gérants de fonds à avoir publié à la fois
leur consignes de vote et leurs votes avaient été des investisseurs
SR.
Avec cette nouvelle réglementation, les gestionnaires
de fonds et les conseillers en investissement "seront plus
responsables devant leurs investisseurs", précise Adam Kanzer,
le directeur de l'activisme actionnarial de DSI. "Nous croyons
qu'ils seront moins à même d'apposer leur cachet sur les
propositions du management des entreprises et plus à même d'avoir
une vision indépendante de ce qui est le meilleur intérêt des
actionnaires. En tout cas, ces réglementations permettront aux
investisseurs de sélectionner des gérants de fonds qui
s'investissent dans l'amélioration de la corporate governance et
dans l'incitation à une plus forte responsabilité des entreprises
". Et Amy Domini conclut en se disant persuadée que cette
nouvelle transparence qui protège les investisseurs aura des effets
positifs non seulement sur la corporate governance, mais également
sur la performance sociale et environnementale des entreprises, dont
le pouvoir et l'influence n'ont jamais été aussi
importants.
Le
US SIF se félicite de cette victoire qui étend la notion de devoir
fiduciaire des fonds
Timothy Smith, le président du US SIF, s'est également
félicité de la décision de la SEC, puisque les investisseurs auront
ainsi la possibilité d'évaluer l'engagement des fonds dans la
corporate governance et la valeur à long-terme pour les
actionnaires. Pour lui, si les investisseurs SR ont devancé la
réglementation de la SEC, c'est parce qu'ils compris de longue date
que les fonds ont un devoir fiduciaire dans le fait que leurs votes
par procuration aillent au mieux des intérêts de leurs actionnaires
et de leurs clients. En rappelant que "l'avidité des dirigeants
n'était pas la seule cause" des scandales Enron, Tyco, etc., mais
que certains gérants de fonds avaient soutenu les conseils
d'administration de ces entreprises ainsi que les rémunérations de
leurs dirigeants, tout en votant contre de nombreuses mesures de
bonne gouvernance qui auraient permis d'éviter de tels désastres, T.
Smith souligne que les nouvelles règles de la SEC "déchirent la
chape de secret qui protégeait jusqu'à maintenant les votes par
procuration des fonds " du besoin d'information du public. Si le
président du US SIF est sans illusion sur l'opposition de
certains fonds à la réglementation de la SEC, au prétexte qu'elle
serait "coûteuse et gênante", il rappelle que toute autre
proposition sur une clause de transparence serait de toutes façons
en butte à une opposition systématique. Notons que les leaders
de l'opposition à cette réglementation sont les sociétés
d'investissement Vanguard et Fidelity Investments. Cette dernière
avait vu, l'an dernier, ses bureaux assiégés par des centaines de
syndicalistes et de militants d’ONG diverses qui lui demandaient des
comptes tant sur ses votes sur les propositions émises par les
entreprises que sur ses votes lors des assemblées générales d'Enron,
de Lockeed Martin et de Stanley Work (cf. ci-dessous) tout en la
pressant de cesser son opposition aux règles sur la transparence
proposées par la SEC.
L’AFL
– CIO, signataire de la pétition adressée à la SEC, salue ce
rééquilibrage des droits des actionnaires face au pouvoir des
dirigeants de firme et s’en prend à Fidelity
L'AFL-CIO, la confédération syndicale américaine, avait
elle aussi soutenu le principe de la transparence de la politique de
vote des fonds communs - dont les actifs gérés s'élèvent à environ 3
milliards de dollars - en signant la pétition adressée à la SEC. Son
secrétaire-trésorier Richard L. Trumka s'est adressé à l'autorité de
régulation boursière américaine le 23 janvier dernier, jour de la
discussion sur le vote des nouvelles règles de transparence, en
soulignant que celles-ci ont le mérite d'éviter le mélange des
genres et la compromission des gérants de fonds qui votent des
propositions "pour s'attirer les faveurs des présidents des
sociétés dans le but d'obtenir des contrats de gestion des plans de
retraite juteux ". Enfonçant le clou, il s'en est nommément pris
à Fidelity Investments, "le plus gros fonds commun du monde et
l'un des plus importants actionnaires de la plupart des grandes
entreprises", en l'accusant d'avoir utilisé ses actions "pour
s'opposer à une proposition demandant une majorité d'administrateurs
indépendants au conseil d'administration de Tyco, pour ré-élire un
administrateur d'Enron chez Lockeed Martin et pour approuver une
proposition de Stanley Works visant à délocaliser son siège social
aux Bermudes".
Richard Trumka a souligné que des règles de
transparence permettraient, si Fidelity soutenait des propositions
similaires dans le futur, que ses votes ne demeurent plus secrets.
Il a rappelé que les investisseurs, pour mieux évaluer et
interpréter les votes de leurs fonds communs, auront besoin d'aide
pour identifier et suivre ces votes, avant même qu'ils ne soient
effectifs. Les nouvelles règles de la SEC permettront à
l'organisation syndicale d'ajouter les directives de votes et les
votes des fonds communs à l' "AFL-CIO Key Votes
Survey"(*) ("Étude de l'AFL-CIO sur les
votes-clé") au fur et à mesure qu'ils seront connus.
"Maintenant les propres actionnaires d'un
fonds commun connaîtront ce que les présidents des entreprises
connaissent déjà, à savoir comment les fonds jouent de leurs votes
par procuration" a conclu Richard L Trumka, après l'annonce de
la décision de la SEC.
Bruce Raynor, le Président du syndicat des
ouvriers du textile UNITE (Union of Needletrades, Industrial and
Textile Employees), considère qu'il s'agit d'une vraie victoire en
faveur d'une réforme des entreprises: "Des fonds communs, comme
Fidelity, ne pourront plus cultiver le secret. S'ils utilisent les
votes par procuration pour favoriser l'avidité des entreprises aux
dépens des investissements des travailleurs, nous le saurons et les
en tiendront responsables".
Rappelons que la
réglementation de la SEC concerne l'ensemble des fonds communs, y
compris les plans 401(k)
(*)
l' "AFL-CIO Key Votes Survey", publiée depuis 5 ans, est une
revue systématique de la politique de vote des gérants de fonds. La
dernière étude, datant de 2001, analyse les votes de 167 gérants de
fonds et consultants sur les votes par procuration, sur 32
propositions relatives à la corporate governance, les salaires des
dirigeants et la responsabilité sociale du management.
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plus:
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